lundi 26 septembre 2022

Monsieur Nuit me suit de loin de branche en branche et de nuage en nuage, il peut se poser sur le trait blanc de craie du col d’un ramier, il peut plonger avec le corps noir d’un petit foulque à ressort tel une boule de bilboquet, monsieur Nuit que je vois partout, le jour est sa cachette. Demanderais-je au merle ou tout autre animal s’il est aussi accompagné d’un monsieur Nuit, si tout est double en ce monde, si tout miroite entre obscur et lumière et se compose deux faces pour parcourir sa vie comme je le fais avec mon papier-crayon.
Monsieur Nuit a-t-il vu le bec orange de l’Oie, de mère l’Oie qui est plutôt une vieille demoiselle, robe peignée de marrons clairs et de gris, et déployant un arrière-train juponnant de froufrous comme on n’en imagine plus, volumineux et d’une blancheur immaculée, qui doit subjuguer les jeunes canards qui la suivent. Elle a des petits yeux ronds très vifs dans un visage à lorgnons élégants, un visage de gouvernante attentionnée ou de grand-tante distinguée. Depuis des générations des petits canards la suivent, jusqu’à leur adolescence attardée. Les parents lui confient sans doute la couvée de bonne heure et peut-être en profitent-ils pour voyager. Beaucoup partent en croisière, on les voit passer nombreuses encore au-dessus de cette rivière.
Monsieur Nuit fait-il la planche sur le dos des nuages, ébloui de soleil ?
 

 Journal de la rivière 15