dimanche 25 septembre 2022

J’ai repêché monsieur Nuit au bout d’un bâton. Il est remonté dégoulinant avec un petit sourire qui n’était pas le sien. Il remontait des charpies de matières molles brun-vert-bleu-noirâtre qui lui pendaient comme des barbes et le couvraient jusqu’aux pieds.
Il ne m’a pas semblé intéressé par une conversation et c’était évident, je l’avais laissé tomber comme une vieille savate et je ne m’étais pas préoccupé de son sort pendant plusieurs jours. Je pensais maintenant à la vieille godasse de Van Gogh après avoir surtout pensé au bœuf écorché de Soutine qui m’était resté en travers du corps depuis mes quinze ans quand nous étions allés au musée découvrir Bonnard, Matisse etc. et que brutalement c’est Soutine qui barre le chemin de toute cette carcasse sanguinolente. Tout cela était venu remplacer les mots, je le comprenais bien maintenant, de même que monsieur Nuit ou moi-même nous étions capables de rester muets pour laisser parler les choses – ou plutôt les êtres – qui nous entourent. L’homme est un sujet parlant : voilà ; même quand il est muet il est en train de parler ce qui l’entoure – jusqu’aux entrailles du bœuf.
Je décroche monsieur Nuit de la branche tombée qui m’a permis de le récupérer et le jette sur le sol. On pourrait très bien le piétiner il n’y trouverait rien à redire, pas plus que mes dessins tracés dans la boue, ou rayés sur les schistes, pas plus que les nervures des feuilles de platanes. Le bord de l’eau est riche de vies, riche de peuples dont nous ne connaissons pas la morale. C’est pourquoi j’aime venir y prendre place.

 Journal de la rivière 9