À 18 heures 30 monsieur Nuit sort du sac. C’est l’heure où le soleil tombe dans la mer, quelque part. Ici, c’est un instant gris-vert-argent, monsieur Nuit remue et se tortille en essayant de dégager ses épaules des limbes du sac, la tête est dehors mais le cou ne passe pas. Il me faut bien vite faire sauter les bretelles de mes épaules pour lâcher le sac à terre et lui donner une chance de s’extraire.
Bonjour monsieur Nuit, vous voici bien opportunément, lui dis-je avec un peu de cérémonie. Il encaisse, il s’étrangle et devient tout pâle. Dans mes mains je le sens qui ramollit et j’entreprends de le battre pour le ranimer. Je le bats comme linge comme j’ai entendu qu’on faisait d’un nouveau-né inanimé à la naissance. Je n’ai pas peur pour lui mais je frissonne pour moi rétrospectivement. D’ailleurs je m’apprête à le jeter comme j’ai fait pour des chats (exécutant stupide d’un crime spéciste), il se rebelle, comme les chats, d’un borborygme intestinal à l’intérieur du sac où sont les mots, tous les mots maintenant, me dis-je – je n’ai d’autre refuge que de plonger, moi-même, la tête à l’intérieur du sac, tandis que les fesses et tout ce qui reste dehors va être dévoré par les fauves, les insectes, les monstres inconnus. Car le vieux bonhomme m’a fait entendre, avant de s’éteindre, ces mots fétides : Ne serais-tu pas un peu, toi aussi, un personnage ?
Mes yeux se sont fermés, mes oreilles de même, le soleil s’est écrasé, m’entraînant dans le néant. Une page s’est tournée.
Journal de la rivière 8