Mouettes, poules d’eau, cormorans et hérons, pigeons, freux qui font grandes fêtes le soir en automne, canards mandarins multicolores, cygnes poseurs, et les ragondins l’été qui glissent entre les jambes de tout ça, se dressent devant vous sur leurs talons, toute moustache luisante, pour cueillir les miettes de votre main ; toujours de nouveaux arrivants, des anciens revenant pour entrouvrir un espace possible de vie sauvage. La capacité d’émerveillement des humains comme, à l’opposé, leur appétit de détruire sont des facteurs importants du destin de cette planète, peut-on comprendre là. Il existait, il existe toujours, en de nombreux endroits de la terre, un jour de relâche où les humains mettent un pied dans cet espace insolite. Aussitôt quelque chose apparaît dans leur démarche, un air vague, un rythme, une familiarité, un accent retrouvé du langage... ils sont un instant saisis parmi le peuplement de la rivière.
Deux jeunes hommes un peu fluets passent près de moi, qui semblent tout exprès vêtus de façon trop conventionnelle, tous deux pantalon et blouson sombres, ce qui m’étonne car plutôt que d’être des Dupond-Dupont, ils sont des Tintins, mais l’un me surprend quand il m’apparaît soudain de face garni d’une barbe noire volumineuse et bien taillée. Ils me dépassent, ce sont deux jeunes damoiseaux marchant main dans la main ou plutôt main de l’un dans la poche de l’autre.
Qu’est-ce que l’art en ce pays du bord de l’eau, que sont les notes de musique ? Où la couleur, le pinceau, le crayon qui déplacent les formes et les lignes ? Où, sur la berge, sur le pont, sur les places attenantes, sur les toits, dans le ciel des rues, la danse, la variation et le jeu des limites ? Où la cohabitation, l’échange des perchoirs, le parlement des rêves, ici où tout s’expose et s’offre à découverte ?
C’est une fée que l’enfant voit à l’intérieur d’une des petites cerises blanches de papier froissé qui pendent à cet arbre. Pour elle c’est l’arbre à fées.
C’est la vieille femme qui venait jeter son seau, tous les jours, qui faisait des allers retours avec des épluchures dans son tablier ou traînait des objets volumineux, venait jeter boyaux et carcasses, déchets peu ragoutants. La rivière lui servait de décharge, dans un sens archaïque, car elle la nourrissait comme on nourrit une bête, de ce qui lui revenait, une bête saine et qui a de l’estomac. Elle habitait une masure en face et semblait faire partie de ce lieu façonné par des générations de riverains... Puis on a restauré les maisons, on a refait les berges et les pelouses. Je ne l’ai plus revue.
Journal de la rivière 19